Le phénomène de décrochage numérique s’est intensifié à un tel point que des termes naguère utilisés pour caractériser les pays en développement, tels que « périphérie » et « dépendance », trouvent désormais écho au sein de l’Europe. En effet, la domination des grandes entreprises technologiques américaines s’étend à presque toutes les couches de l’infrastructure, des logiciels et des services, formant ainsi le socle des modèles puissants d’intelligence artificielle (IA).
Cependant, l’Europe peut se vanter de certaines réussites notables, comme Mistral, une pépite française dans le domaine de l’IA, ou encore SAP, le géant allemand des logiciels de gestion d’entreprise. En matière d’infrastructure satellitaire, des initiatives telles que le système de navigation Galileo, le programme d’observation Copernicus et la future constellation de communication Iris, dont le lancement est prévu pour décembre 2024, renforcent encore cette base.
Néanmoins, la souveraineté numérique ne se limite pas à quelques segments isolés. Elle se mesure à la capacité d’appréhender la totalité du système numérique, ce que le penseur Benjamin Bratton désigne par le terme de stack. Les grandes entreprises technologiques confortent leur suprématie en capitalisant sur les complémentarités entre centres de données, flux d’informations, compétences en IA, places de marché et services numériques, tant pour les organisations que pour le grand public.
Une infrastructure de connaissances à distance
À cette échelle, l’Europe semble être en retrait. Comme la majorité des nations du globe, à l’exception des États-Unis et, dans une moindre mesure, de la Chine, le destin numérique européen est en grande partie influencé par les grandes entreprises. Pour enrayer cette dépendance face aux Big Tech, il est essentiel d’instaurer une politique numérique autonome.
La problématique dépasse la simple surveillance à des fins marketing ou la fragmentation de l’espace public, conséquence des algorithmes qui affaiblissent les médiations collectives, souvent le terreau de l’extrême droite. Avec la montée en puissance du cloud, l’économie et même les institutions politiques sont désormais entravées par les intérêts des géants du numérique.
Notre point de vue
Notre réflexion sur la souveraineté numérique en Europe nous amène à considérer l’importance d’une stratégie indépendante et holistique face aux géants technologiques. La complexité des enjeux exige non seulement une prise de conscience collective mais également des actions concrètes pour réguler ce secteur. Promouvoir des initiatives locales et soutenir l’innovation au sein de l’UE pourrait permettre de restaurer une certaine autonomie. Ce faisant, il est crucial d’intégrer une dimension éthique dans ce développement technologique, afin de garantir que les droits individuels et collectifs ne soient pas sacrifiés sur l’autel de la rentabilité. L’équilibre entre progrès technologique et respect des valeurs démocratiques doit devenir notre boussole dans cette transition numérique capitale.