Depuis 2014, le même débat tournoie sans fin. Dix ans après s’être opposée aux ABCD de l’égalité, une initiative visant à combattre les stéréotypes de genre, la droite attaque de nouveau l’éducation affective et sexuelle des jeunes. Le ministre délégué à la Réussite scolaire, Alexandre Portier, a récemment annoncé au Sénat que le programme, que le Conseil supérieur de l’éducation doit valider mi-décembre, sera revu. Son attention se porte sur ce qu’il qualifie de « théorie du genre » et de « wokisme ».
Cette déclaration s’inscrit dans une série d’attaques récurrentes contre l’éducation à la sexualité, aux relations affectives, et contre les enjeux liés au genre, souvent nourries par de fausses informations. Un article du Journal du dimanche, par exemple, a évoqué le danger potentiel pour les enfants. Mais ne serait-ce pas en s’opposant à ce programme que certains groupes mettent vraiment les enfants en péril ?
Un aperçu du programme d’éducation sexuelle
Imposé depuis 2001, les écoles, collèges et lycées doivent proposer « au moins trois séances annuelles » sur l’éducation à la sexualité. Pourtant, selon un rapport de l’inspection générale de l’Éducation en 2021, « moins de 15 % des élèves » y ont vraiment accès. Pour que cette loi soit enfin appliquée, le ministre Pap Ndiaye a lancé une initiative pour définir clairement le contenu de ces cours. « Ce programme était attendu et urgent », note Marie Frostin, formatrice dans le domaine.
En mars, le Conseil supérieur des programmes a présenté une première version de celui-ci, suivie par une version plus élaborée, récemment critiquée par le Sénat. Ce programme vise à faire découvrir aux élèves, dès la maternelle, des notions sur l’intimité et les différentes configurations familiales, avant d’aborder le consentement et le harcèlement en primaire. « Le fait que le programme soit progressif est un atout », souligne Amandine Berton Schmitt, directrice adjointe de la fédération nationale des CIDFF.
En CM2, un enfant devrait pouvoir reconnaître une situation de violence sexuelle pour s’en protéger. « En primaire, nous parlons de puberté, pas de sexualité. L’élève doit être capable de nommer différentes parties de son corps, y compris les parties intimes, pour comprendre ce qui est intime et ce qui relève de la protection personnelle », explique Marie Frostin. En classe de 5e, les notions de sexe biologique, de genre et d’orientation sexuelle sont introduites, suivies par des cours sur les infections sexuellement transmissibles en 4e.
Les rumeurs qui entourent le programme
Les opposants, y compris le ministre Portier, évoquent une pollution de ce programme par la « théorie du genre », un terme régulièrement utilisé par des factions politiques extrêmes. Ce concept, souvent mal compris, amalgame les études de genre et les luttes pour les droits des personnes transgenres. « La théorie du genre n’existe pas. Ce qui perdure, ce sont les inégalités entre les sexes et les violences à caractère sexiste et LGBTphobe », rétorque Amandine Berton Schmitt. Anne Genetet, ministre de l’Éducation, a même été contrainte de rappeler son collègue à l’ordre.
Portier dénonce ce qu’il appelle un « militantisme » tentant d’influencer les jeunes vers la transition de genre, mais ce sont en réalité des professionnels qualifiés, comme les enseignants et les infirmières scolaires, qui interviennent, et non des militants. « Nos associations sont reconnues par l’État et doivent renouveler leur agrément tous les cinq ans pour s’assurer de la cohérence avec les valeurs scolaires », précise Amandine Berton Schmitt.
La question de la transidentité, de plus, n’est pas mise en avant en primaire et n’intéresse pas beaucoup le programme global, indique Marie Frostin. « Il est erroné d’affirmer que ce programme promeut des idéologies; il vise simplement à inculquer le respect des diversités et à lutter contre le harcèlement ». Des séances précédemment attaquées dans certains médias au prétexte qu’elles abordaient des actes sexuels sont, une fois de plus, fondées sur des Fake News, comme l’avait déjà démontré 20 Minutes. Ces cours portent sur le corps, les différences et les changements corporels.»
Les dangers des attaques contre le programme
Les interrogations du JDD sur « les enfants en danger » invitent Amandine Berton Schmitt à parler de « panique morale ». Elle insiste sur le fait que moins d’information ne peut que nuire aux enfants. « Retirer ou retarder la mise en œuvre de ce programme ne fait que perpétuer des lacunes dangereuses ». Il est impératif de rappeler que « toutes les trois minutes, un enfant en France est victime d’inceste, de viol ou d’agression sexuelle », comme l’indique Marie Frostin.
« Les 160 000 enfants en danger, souvent livrés à eux-mêmes à la maison, manquent de ressources pour répondre à des questionnements essentiels », ajoute Amandine Berton Schmitt. Par ailleurs, la santé mentale des enfants trans serait une priorité, car de nombreux drames se produisent souvent, regrette-t-elle. Elle souligne également l’importance d’informer sur les infections sexuellement transmissibles (IST) tout en abordant des sujets contemporains tels que le numérique et l’analyse critique de la culture du viol au lycée.
Il est temps d’étudier sans tabous des sujets cruciaux pour nos enfants et de favoriser une société inclusive qui permettra un développement épanoui.
Notre point de vue
Le débat autour de l’éducation affective et sexuelle est plus qu’une question de programmes scolaires ; il s’agit d’une opportunité de préparer les jeunes à naviguer dans des réalités complexes concernant leur corps et leurs relations. La résistance à l’égard de ces formations, alimentée par des discours qui entretiennent la peur, peut faire obstacle à la protection des enfants. En intégrant des spécificités sur le consentement, la prévention des violences et la compréhension des diversités de genre, nous plaçons les enfants dans une dynamique de respect et de sécurité. L’éducation ne doit pas être perçue comme une menace, mais comme un droit fondamental qui contribue à leur bien-être et à une société plus consciente et inclusive.