19 mars 2024
Société

Noire et psy, Vivette se bat pour l’intégration de la psychologie en Afrique

Vivette Tsobgni

13 minutes approx.

Psy….quoi ? pardon excuse-nous avec tes histoires de Blancs !

Telle est la réaction que je suscite en général quand on me pose la question sur mon cursus universitaire.

Tu n’as rien trouvé d’autre à faire?  

Tu vas travailler où avec ça?

Pourquoi tu n’as pas fait médecine ou pharmacie?

Tes parents étaient où?

En tout cas, c’est pour rester chez les Blancs hein, parce que nous ici, on n’en a pas besoin. Tu veux travailler avec les fous?

Tu as gaspillé l’argent de tes parents

Donc, tu lis dans ma tête !

Tu crois que tu peux m’analyser avec ta psychologie là?

Je ris à chaque fois que j’ai cette discussion avec des amis(e) ou des personnes que je rencontre au quotidien. Qu’elles soient “noires” ou “blanches”, elles ont leurs propres conceptions du métier de psychologue, très souvent confondu avec celui de psychiatre. Le stéréotype du “psy” comme étant celui qui soigne les fous n’est pas l’apanage des personnes d’origine africaine. Il est tout aussi répandu dans d’autres communautés. Je vais donc lever quelques ambiguïtés avant d’aller plus loin dans mon propos.

Le psychiatre : il possède une formation de base de médecin, suivie d’une spécialisation en psychiatrie. Il diagnostique et traite les patients atteints de maladie mentale, de troubles psychiques ou de désordres émotionnels. Il utilise principalement des médicaments et peut dans certains cas y associer une psychothérapie qu’il peut effectuer seul ou en collaboration avec un psychologue.

Le psychologue : le diplôme de psychologue s’obtient généralement après 5 années d’études universitaires. Parfois moins ou plus dans certains pays. Toutefois, un psychologue n’en est pas un autre. Ils ne font pas tous de la psychothérapie ou de la relation d’aide. Tout dépend de leur orientation ou des formations supplémentaires qu’ils ont suivi. La discipline se décline en différents domaines d’études dont  la psychologie de l’éducation, la psychologie sociale, la psychologie clinique, communautaire ou légale, la psychologie du travail ou des organisations, la neuropsychologie, etc. Un psychologue ne prescrit pas de médicaments. Il utilise des méthodes thérapeutiques spécifiques pour traiter ses patients.

Quelques stéréotypes et idées reçues au sein de la communauté africaine

Le psy c’est pour les fous, les malades mentaux.

Le psy c’est pour les blancs, ils craquent pour tout et pour rien, ils sont trop faibles.

La psychologie c’est quoi? vous arrivez chez les blancs, vous faites comme eux, vous copiez tout sans réfléchir.

L’homme noir règle ses problèmes tout seul, il n’a pas les problèmes de “blancs”.

Les noirs ne font pas de dépression, ils ne se suicident pas.

Le psy vous rend fou avec tous ses médicaments.

Les psy ne servent à rien, c’est des charlatans, des manipulateurs.

Un psy ne peut pas soigner un africain, il ne pourra pas le comprendre.

Nous, on  a nos “psy” au pays, les guérisseurs traditionnels.

La psychologie est européenne, ses principes et outils ne s’appliquent pas aux autres cultures.

Le psy c’est pour ceux qui veulent imiter les blancs.

Un psy ne peut pas lire dans ma tête, qu’il essaie seulement…

Ce sont des stéréotypes certes, mais ils ont des fondements tout à fait logiques et compréhensibles. Chaque être humain utilise une grille de lecture spécifique pour évaluer son environnement. Cette dernière est le reflet de son enculturation et de ses prises de position personnelles.

D’où vient donc cette conception?

La culture

Chaque société/culture a sa propre définition de la santé mentale ainsi que son propre système de prise en charge. La dénomination des troubles psychiques ainsi que leur mode de traitement est donc propre à chaque groupe culturel. Le recours à un tiers pour la résolution de problèmes personnels est fortement influencé par les pratiques qu’on a pu observer dans notre milieu d’origine et qui ont contribué à notre éducation.

Le psy n’est donc pas le professionnel de référence en Afrique. La famille et l’entourage jouent un rôle de support en cas de coups durs ou d’épreuves difficiles. Ils sont là pour écouter, conseiller, et soutenir. On peut considérer qu’ils agissent en première ligne pour la santé mentale individuelle. En cas de problèmes “graves” ou d’aggravation des symptômes préexistants, il est usuel de faire appel à une deuxième ligne, qui est cette fois constituée d’experts en tout genre: médecin, spécialiste, psychiatre,  ou tradipraticien (guérisseur traditionnel).

Le manque de visibilité et l’absence de débouchés

La psychologie comme discipline est enseignée dans les universités africaines depuis de nombreuses années. Toutefois, il existe peu de spécialisations et presque pas de débouchés dans le domaine de la santé mentale. Avec si peu de visibilité, l’ignorance continue à entourer cette discipline et la population n’en voit pas l’utilité.

Les médias et la  méconnaissance de la profession

Rares sont les personnes qui ont déjà rencontré un psy ou qui l’ont déjà vu travailler. On se fait une idée en regardant la télé et en écoutant les faits divers. Or, il s’agit la plupart du temps de cas fictifs, isolés ou très stéréotypés.

Un psychologue formé à la relation d’aide peut proposer différents services : l’écoute (vous avez besoin de parler de votre problème/situation à une personne neutre), le soutien psychologique face à une situation difficile, la clarification et la compréhension d’une situation vécu, la résolution de problèmes ou de conflits personnels, la gestion du stress ou des émotions, le conseil et l’information sur une situation qui pose problème, l’aide dans la connaissance de soi (pourquoi je fonctionne ainsi? pourquoi j’ai toujours ce type de problèmes? pourquoi certaines situations se répètent dans ma vie? la guérison des blessures émotionnelles et la prise de conscience des traumatismes d’enfance, la communication d’outils thérapeutiques, l’accompagnement dans une démarche de changement…

Pourquoi j’ai choisi d’étudier la psychologie?

L’envie d’aider les autres

Très tôt, j’ai commencé à m’intéresser à la souffrance d’autrui. J’étais très curieuse et j’observais attentivement les méthodes de guérison appliquées dans mon environnement. Les guérisseurs traditionnels m’intriguaient énormément. Je me demandais comment ils faisaient pour arriver à soigner les personnes “malades”. N’étant ni médecins, ni psychologues, ces praticiens avaient pourtant une place non négligeable dans nos traditions en matière de soins.

Ma rationalité se heurtait vivement à leurs pratiques, que je trouvais « irrationnelles », «  non scientifiques », mais qui pourtant, avaient un pouvoir thérapeutique indiscutable chez certaines personnes. Au lycée, j’ai commencé à lire sur la psychologie,  les maladies  psychosomatiques (maladies dont les causes sont partiellement ou totalement psychologiques) et la psychopathologie (est l’étude des troubles psychiques par la psychologie, la psychiatrie ou la psychanalyse). Les oeuvres de l’anthropologue Eric De Rosny m’ont beaucoup édifiées.

J’ai immédiatement compris que le comportement humain était indissociable des déterminants culturels. Cette découverte m’a donné envie d’en savoir plus sur le comportement humain et la santé mentale.

Un drame familial

A 12 ans, j’ai perdu mon père dans des circonstances tragiques. Ca a été le coup de tonnerre dans mon univers d’enfant. J’ai alors ressenti une souffrance que je n’avais jamais connue auparavant. Rien ne réussissait à la calmer, pas même le temps. Malgré tous leurs efforts, personne ne réussissait à me comprendre et à soulager ma peine. La souffrance psychique ne se soignait pas avec des potions ou des rites de guérison. L’empathie, tout comme les paroles d’encouragement ou de consolation n’avaient aucun effet non plus. Rien ne fonctionnait.

Je me suis alors réfugiée dans la lecture, à la recherche de réponses ou d’un remède miracle. Puis un jour, j’ai découvert “Deuil et mélancolie”, un ouvrage de Sigmund Freud. Ce bouquin a changé ma vie. Je l’ai parcouru un moment , puis j’ai soudain eu un déclic: j’avais l’impression qu’on parlait de moi. Pour la première fois depuis très longtemps, je me comprenais. Quelqu’un avait mis un nom sur  ce que je traversais: la mélancolie, le deuil difficile.

J’avais trouvé ma clé. En refermant ce livre, j’ai pris la ferme décision de devenir psychologue. Je voulais à mon tour proposer des clés de guérison à toute personne qui se retrouverait un jour, désespérée et incomprise  face à ses souffrances. Heureusement pour moi, ma mère nous a toujours encouragé et soutenu dans nos choix. Même si elle ne comprenait pas grand chose à cette discipline. Elle était juste heureuse que sa fille ait enfin repris goût à la vie grâce à cette dernière.

Mon parcours

Dès l’obtention de mon baccalauréat, je me suis inscrite à la faculté de psychologie. Après la première année d’études, j’ai pris la direction de l’étranger afin d’y poursuivre  mes études. Quelques années plus tard, j’ai obtenu mon Master en Sciences psychologiques, option Psychologie sociale et interculturelle. J’ai volontairement choisi cette option car c’est la seule qui enseignait la psychologie en intégrant les différences culturelles. Ou du moins en lui accordant une plus grande place.

Depuis lors, j’ai travaillé dans différentes structures (associations, fondations, ONG), et approché différentes formes de souffrance. Ce qui m’a poussé à effectuer plusieurs formations complémentaires en psychopathologie, psychothérapie  et soutien psychologique. Le comportement humain, c’est ma passion. J’adore ce que je fais et je n’ai jamais regretté mon choix d’études. L’être humain étant complexe, je ne cesse jamais d’apprendre et de me former dans mon domaine.

Mes activités principales tournent autour de l’information et de la sensibilisation des personnes d’origine africaine aux connaissances de base qui pourraient être utiles à leur santé mentale. En parallèle, j’anime des ateliers thérapeutiques, je fais du coaching de groupe ou individuel, et je suis très souvent sollicitée pour du conseil, du soutien psychologique ou une thérapie brève.

A cet effet, j’ai créé en 2016, un blog intitulé  Noire & Psy. J’y partage mes réflexions et conseils sur les différentes problématiques que peut rencontrer la communauté africaine. Je mets un point d’honneur à adapter ma grille de lecture à nos spécificités culturelles. Et pour ce faire, je consulte régulièrement la recherche sur le sujet. Mon objectif à terme est de démystifier la psychologie, afin d’aboutir à une prise de conscience des troubles qui existent dans nos communautés. Troubles pour le moment, méconnus, ignorés ou tout simplement tabous or, si on sait les reconnaître, la famille ou l’entourage pourra agir assez tôt et orienter la personne en souffrance vers des structures adaptées. Avant qu’il ne soit trop tard.

Comment je vis le fait d’être Psychologue ?

Super bien ! J’ai l’impression que ça a toujours été une partie de moi, tellement je m’y retrouve. La plupart du temps les gens viennent vers moi pour me parler de leurs problèmes et me poser des questions. Je les écoute toujours et je les aide du mieux que je peux à comprendre ce qui pose problème chez eux. Ça me fait tellement plaisir de pouvoir leur offrir des outils de compréhension et de changement !

Le regard des autres ?  Je ne m’en suis jamais préoccupée, sinon je n’aurais pas fait ces études. On ne juge que ce qu’on ne connaît pas. Je comprends parfaitement les stéréotypes et je pense que chacun a le droit d’avoir son opinion sur la question. La psychologie n’est pas la seule voie de guérison ou de développement personnel qui existe. Ce n’est pas non plus la science infuse.

Toutefois, c’est elle que j’ai choisie et je l’assume totalement. C’est le seul métier que je peux faire sans être payée. Ma récompense est prioritairement  immatérielle. Il s’agit de l’impact positif que je peux avoir sur le bien-être des autres. Dans ma famille et mon entourage proche,  « la psy » est le surnom qui revient dès que je fais une réflexion un tant soit peu orientée vers cette direction. Nous nous en amusons bien et j’en profite pour sensibiliser tout le monde à des problématiques comme la dépression, la dépendance affective ou encore le suicide.

Cette grille de lecture que j’ai acquise m’aide énormément dans mes relations familiales et personnelles. J’ai une bonne capacité de discernement et je peux apporter un soutien immédiat et approprié à mon entourage. Je me sens riche de l’intérieur car j’aime donner de ma personne pour apaiser l’autre. En retour, les expériences des autres m’enrichissent également et j’en apprends tous les jours sur la nature humaine. Grâce à ce partage, j’ai appris à relativiser dans la vie.

Toutefois, je reste humble et j’écoute ceux qui ont plus d’expérience que moi dans certains domaines, même s’ils n’ont pas un diplôme de psychologue. On peut apprendre de tout le monde. Mes études m’ont ouvert un horizon de perception plus large. Je lis énormément sur le bouddhisme, la métamédecine, et le new-age. J’analyse leurs outils de croissance personnelle, je les expérimente et je retiens celles qui m’ont convaincues.

La souffrance est universelle, seules les méthodes de guérison diffèrent. J’estime donc que la sagesse et la guérison se trouvent partout. Sous différentes déclinaisons. Ce qui marche sur l’un ne marchera pas sur l’autre. Il faut donc s’instruire, de manière continue. On ne peut aider l’autre que selon son propre schéma de pensée. Je ne suis pas ce que je suis uniquement  grâce à mes études, je le suis surtout grâce à mes expériences de vie et à mon propre développement personnel. Il y a des choses qu’on comprend mieux après les avoir vécues soi-même, et des outils qu’on enseigne mieux après les avoir utilisés personnellement.

Un bon Aidant est celui-là qui vous amène à une prise de conscience et qui vous montre le chemin pour pouvoir vous aider vous-même. Qu’il s’appelle Psychologue, Bouddha, ou Socrate.

Retrouvez Vivette sur son site internet Noire et Psy

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