9 minutes approx.
Certains disent que rien ne fonctionne au Cameroun à part les débits de boissons. Je ne sais à quel point cette affirmation est vraie, mais je sais d’expérience que le circuit de l’acquisition d’une carte nationale d’identité ne fonctionne pas comme il le devrait. Laissez-moi vous dire comment faire établir une carte d’identité au Cameroun.
J’ai perdu mon portefeuille le mois denier, et il contenait un billet de 5 000 francs (l’étudiant que je suis se doit de le mentionner), et ma carte nationale d’identité. Ces temps-ci au Cameroun, et surtout dans les régions anglophones du pays, il ne fait pas bon de marcher sans pièce d’identité vu la situation socio-politique et sécuritaire que nous traversons. Le risque d’être confondu aux terroristes, grévistes et sécessionnistes qui s’agitent çà et là est très grand !
C’est donc en bon citoyen soucieux de conserver sa liberté en cas de contrôles des forces de l’ordre que je me suis rendu dans un commissariat pour m’enquérir du nécessaire à l’établissement d’une CNI. Selon les informations recueillies, il faut : une copie certifiée de l’acte de naissance, un certificat de nationalité et le paiement de 2 800 FCFA au poste d’identification. Vous remarquez l’absence du certificat de perte qui s’explique par le caractère nouveau du système d’identification : tout demandeur d’une CNI est traité comme “nouveau client”, vierge de toute ancienne possession.
Première étape : le plus simple peut se compliquer.
Faire une copie certifiée de son acte de naissance est sans doute la démarche administrative la plus facile étant donné qu’il faut tout simplement l’acte de naissance lui-même, un timbre de 1 000 FCFA et la certification de l’autorité administrative compétente. Il suffit de se rendre dans une sous préfecture, une mairie ou un des services du Gouverneur muni des documents requis et la somme de 1 000 FCFA mentionnée précédemment.
C’est avec stupéfaction que j’ai découvert que le timbre de 1 000 FCFA n’a de 1 000 FCFA que le prix et la mention sur le cachet. Il vaut 1 000 FCFA, mais est payé 1 100 FCFA ou plus, selon l’humeur et les besoins de… suivez mon regard ! Je me suis plié aux exigences à la sous-préfecture ou je me suis rendu et j’ai payé 1 100 FCFA. Il ne me restait plus qu’à me placer en bout de queue pour attendre mon tour et faire légaliser la photocopie de mon acte de naissance.
Il était 9 heures lorsqu’on nous a annoncé que le sous-préfet détenteur des cachets nécessaires à l’opération n’était pas encore sur place. 9 heures. Un mercredi. J’ai quitté les lieux et je me suis rendu aux services du Gouverneur où j’ai trouvé un jeune homme en costume marron qui n’a pas daigné répondre à mes salutations et à mes questions et qui s’est contenté de me demander “Que crois-tu que je fais avec ces papiers ?”. Comment étais-je supposé le savoir et aurais-je seulement obtenu une réponse si j’avais osé demander de quoi il parlait ?
Il m’a demandé sur un ton que je ne saurai définir de lui remettre mon acte de naissance, la photocopie portant le fameux timbre ainsi que 600 FCFA. Devant mon air ébahi, il m’annonce que c’est pour le timbre municipal. Je proteste car on ne m’a rien dit à la sous-préfecture et je vois mal la dame qui m’a vendu le timbre de 1 100 FCFA (Oups ! Devrais-je dire 1 000 FCFA) se priver d’une autre transaction enrichissante ! Et de ce que je sais du découpage administratif, un timbre municipal est inutile auprès d’une autorité régionale. “Je vais faire quoi avec tes 600 ?” m’a-t-il dit.
L’obligation de lui faire confiance m’a poussé à lui donner mes papiers ainsi qu’un billet de 1 000 FCFA. Après quoi il m’a demandé d’aller l’attendre du côté du garage des bureaux. Et oui, ici les usagers attendent dans le garage. La salle d’attente est comme une licorne dans les services publiques : tout le monde sait ce que c’est mais personne n’en a jamais vue.
Monsieur timbre municipal s’est pointé 30 minutes après en criant du haut du perron de son bureau les noms des pauvres citoyens l’attendant dans le garage. Il n’a pas manqué de nous préciser de courir car, comme il l’a dit, il n’avait pas que ça à faire et ceux qui traînaient le pas “partiront d’ici à 17 heures! Vous ne me connaissez pas!” Une fois mes papiers en main, grande a été ma surprise de constater l’absence du fameux timbre municipal. Seul le timbre de 1 100 FCFA y figurait, ainsi qu’un cachet de l’administrateur civil et sa signature.
Malgré l’air menaçant de Monsieur timbre municipal, je lui ai demandé où était mon timbre. Je n’ai reçu comme réponse que “Je n’ai pas de monnaie !” Adieu, mes 1 000 FCFA.
Deuxième étape: le palais de Justice n’est pas si juste…
Au palais de justice j’ai eu droit à un meilleur accueil. La dame à qui j’ai demandé où l’on établit le certificat de nationalité m’a gentiment indiqué le bureau où je devais me rendre. Il y avait un monde fou devant ce bureau. On n’y entre pas. La pièce est étroite, pleine de papiers et contient deux bureaux et deux femmes. C’est à tour de rôle qu’elles viennent récupérer papiers et argent.
Si je dis argent, c’est parce que j’ignore le prix officiel du certificat de nationalité. J’ai donné 10 000 FCFA et je me suis fait rembourser 6 000 FCFA. D’autres se faisaient rembourser 1 000 FCFA et des poussières pour avoir donné 5 000 FCFA. Pour le même document, document sur lequel ne figure qu’un timbre de 1 000 FCFA. Ne connaissant pas le prix homologué je n’ai pas souffert de ce que j’ignore !
Troisième étape : rien ne se passe jamais comme prévu !
Vers midi, Le nécessaire en main, j’arrive au commissariat pour me faire établir un récépissé de ma future carte d’identité nationale ou CNI. Ce qui va suivre est tout simplement stupéfiant. Je me retrouve devant l’inspecteur chargé de l’identification qui me dit de revenir le lendemain très tôt si je veux me faire établir une CNI.
À la question de savoir pourquoi le lendemain et pas tout suite car il n’est que midi, il me répond “C’est comme ça ici, nous on arrête de faire les CNI à midi!” Loin de s’arrêter là il précise que son “très tôt” signifie entre 6 heures et 7 heures du matin. Dans quel pays la journée du service publique commence à 6 heures ? Je suis rentré chez moi et le lendemain à 7 h 30 j’avais déposé mon dossier. Il ne me restait plus qu’à attendre d’être appelé pour le remplissage de la fiche et les données biométriques .
Comme il fallait s’y attendre, il n’y avait pas de salle d’attente. Et malheureusement pour nous, pas de garage non plus. Ma salle d’attente à moi c’était l’aile d’une voiture garée où j’essayais tant bien que mal de me protéger du soleil. J’étais perdu dans mes pensées quand j’ai été interpellé par un jeune homme lui aussi profitant de l’aile de la voiture garée qui souhaitait me parler d’une chose qu’il avait remarquée.
Les récépissés une fois signés par le commissaire sont remis à un monsieur qui fait des photocopies et plastifie des documents, et c’est ce monsieur qui est chargé de remettre les récépissés aux citoyens venus les faire établir. Et d’après les scènes observées par celui qui me révèle la chose, ce monsieur refusait de rendre aux gens les récépissés s’ils ne les faisaient pas plastifier par lui pour la somme de 500 FCFA. Je n’ai pas cru aux révélations, alors j’ai moi même commencé à observer Monsieur plastification.
Le jeune homme avait dit la vérité. Imaginez le nombre de personnes qui viennent se faire établir une CNI par jour, multipliez le nombre par 500, et vous aurez une idée de la somme d’argent que ces gens se font par jour. Il était hors de question pour moi de remplir cette caisse noire ! Le prix pour une CNI m’avait clairement été communiqué. 2 800 FCFA. Pas un radis de plus, pas un radis de moins ! Alors que je ruminais ma colère, l’inspecteur chargé de l’identification est sorti pour nous annoncer dans le plus grand des calmes de rentrer chez nous. “C’est fini pour aujourd’hui ! “J’avais été prévenu la veille : à midi tout s’arrête.
Je suis revenu le lendemain avec la ferme intention de ne pas accepter la plastification forcée de mon document. Je m’était fait avoir à la sous*-préfecture, aux services du gouverneur et au palais de justice mais ça s’arrêtait là ! Je n’avais dans mes poches que mon argent de transport, histoire de ne pas être tenté de céder face à une quelconque pression. À mon tour, j’ai répondu aux questions de l’inspecteur chargé de l’identification et je suis ressorti de son bureau. Aucune aile de voiture en vue, donc aucune “salle d’attente” pour moi.
Monsieur photocopie s’est pointé avec nos récépissés une fois prêts. nous l’avons tous suivis dans le hangar qui lui sert de bureau. Il s’est mis à lire les noms sur les récépissés, exigeant 500 FCFA pour la plastification. Il ne rendait rien d’autre que le document plastifié. À la lecture de mon nom j’ai simplement tendu la main pour qu’il me donne mon récépissé. Monsieur photocopie m’a ignoré et est passé à la personne suivante. Une fois qu’il a fini de collecter son dû, il a continué à m’ignorer.
Cette fois-là j’ai mis la politesse de côté et je lui ai clairement dit, comme on le dit chez moi, “On ne se connait pas et on n’avait pas rendez-vous ! Donne moi calmement mon document !”. Visiblement énervé par ma détermination et voyant que je n’allais pas changer d’avis, il s’est exécuté.
Ça serait tellement plus simple si les services affichaient dans leurs locaux la grille tarifaire officielle des documents qu’ils délivrent au lieu de laisser les usagers dans ce flou où nos tristes expériences font office de boussole.
Photo : Gouvernement du Cameroun
Bonjour
Quel merveilleux article! Dans un français parfait! Bravo!
Je suis un ressortissant français vivant au Cameroun depuis plus de 45 ans, et, je dois malheureusement à la vérité de dire que ce que rapporte cet étudiant est strictement conforme à la réalité. Tous les services de l’administration camerounaise, sans exception, sont gangrénés jusqu’à l’os par la prédation organisée, basée sur le proverbe camerounais qui dit que “la chèvre broute là où elle est attachée”.
La plupart du temps, c’est juste désagréable, d’autant qu’on se fait prendre de haut par ces petits fonctionnaires véreux. Là où ça devient grave, c’est quand le procédé se transforme, par une sorte de glissement, en corruption proprement dite, le véritable grand fléau du pays. Dans ce cas, il s’agit de percevoir de l’argent pour poser des actes contraires à la loi : faux documents, décisions de justice truquées, octroi de marché publics, détournement de fonds en bandes organisées (covid-gate, stade d’Olembé, lignes 65 et 97, etc…), et bien d’autres encore.
Le Cameroun a un très très sérieux problème avec la corruption, du plus bas au plus haut sommet de l’Etat.
G. PICKER
Merci pour ses informations elles m’ont bien fait rire😄 mais tu as raison si il affichait les tarifs sa serait beaucoup plus simple. Merci encore
Ah mon frère! Dans ce pays (continent), la règle est déréglée. C’est comme ça. On fait avec dans une douleur inerte. On rumine la contrainte sous silence…
Le récit est fait avec une petite pointe d’humour mais au fond moi lectrice j’ai ressenti une pointe de colère car je me suis mise à votre place. Il n’y a rien de plus détestable que ces comportements écœurants affichés par ceux là qui sont sensés faire leur travail.
Il n’est point gentil de se moquer du malheur des autres mais je suis quand même heureuse de savoir que les mêmes subissent dans certains services ce qu’ils font subir aux usagers. Et le plus marrant c’est qu’ils se plaignent sûrement en oubliant parfois qu’ils sont des tortionnaires sous d’autres cieux.
Bref courage à nous qui dépendons de tierces personnes…
Merci beaucoup grand grâce à tes expériences passées mise à notre disposition nous saurons à quoi nous attendre en partant là bas à notre tour.