Corine Pelluchon nous invite à réfléchir sur l’actualité de l’existentialisme, un courant qui nous demande d’accepter la réalité de notre condition humaine et d’explorer le rapport entre liberté et contingence. Elle soutient que pour répondre aux enjeux écologiques contemporains, il est essentiel d’approfondir cette philosophie. L’existentialisme écologique ne se limite pas à un coexistentialisme qui reconnaît notre place au sein d’une communauté de vivants. Il nécessite une remise en question de l’imaginaire terrestre, amenant à envisager la condition humaine sous le prisme maritime.

En postulant une ontologie fluide, cet existentialisme s’affranchit de l’obsession pour le territoire, ce qui éclaire les tensions inhérentes au droit international de la mer, un domaine tiraillé entre la nécessité de préserver un écosystème vital et les rivalités économiques et militaires qui en entraînent la surexploitation. Cette approche, qui défie les notions de prise de racines, met en avant la fluidité de notre identité et notre immersion dans un monde partagé, renvoyant à la mémoire collective et à la mer-mère, prégnante bien au-delà des terres.

Philosophe et professeur à l’Université Gustave Eiffel, Corine Pelluchon a contribué à une quinzaine d’ouvrages, explorant une philosophie de la corporéité qui valorise notre vulnérabilité ainsi que notre interdépendance vis-à-vis de la nature.

Elle a été récompensée en 2020 du prix Günther Anders de la pensée critique pour l’ensemble de ses travaux. Parmi ses dernières publications figurent : Paul Ricœur, philosophe de la reconstruction. Soin, attestation, justice (Puf, 2022) et L’espérance, ou la traversée de l’impossible (Rivages, 2023).

— 

Extrait :

Quel est l’intérêt de l’existentialisme ? Le courant met en lumière l’ambiguïté de l’être humain et son indéterminisme. La vie humaine est marquée par la contingence, poussant à choisir et à définir ses valeurs tout en acceptant les solitudes inhérentes à cette liberté. Les traditions et les normes sociales ne répondent pas à la façon de vivre, mais chaque action, même l’inaction, engage notre responsabilité face aux autres.

Si la mort incarne notre finitude, elle suscite aussi une angoisse que l’existentialisme permet de traverser. Les tensions entre liberté et contingence, entre historicité et responsabilité, jalonnent la réflexion existentialiste, un mouvement d’idées qui se pense en relation avec la singularité humaine.

Ce courant a une portée sociale et artistique significative, allant bien au-delà des cercles académiques. Sa richesse se manifeste dans divers supports – essais, romans, pièces de théâtre, films − témoignant de son inquiétude pour l’état du monde et interrogeant la manière de vivre ensemble. Comment l’humanité, singulière et unique, peut-elle mener une existence épanouissante ici et maintenant dans un monde en pleine mutation, marqué par la mondialisation et le changement climatique ?

Alors que notre place dans la société semble menacée par l’automatisation et les réseaux sociaux qui conditionnent nos choix, il devient crucial de défendre les valeurs de liberté et de responsabilité propres à l’existentialisme. Comme décrit par plusieurs penseurs, la question n’est pas seulement celle de vivre mais celle de vivre ensemble, tout en prenant conscience de notre finitude et de ce que cela implique sur le plan éthique et mobilisateur.

Il incombe donc à l’existentialisme de se réinventer à la lumière des défis contemporains, tout en restant une philosophie nécessaire pour naviguer dans les complexités sociopolitiques actuelles. La réflexion sur les pratiques non soutenables et l’absence d’harmonie entre l’humain et la nature nécessite une remise en question de nos modèles de développement.

Dans sa quête d’une formule qui donnerait corps à cette complexité humaine, l’existentialisme doit réimaginer ses concepts pour valoriser la diversité des vies, tout en intégrant la réflexion écologique dans l’analyse de notre condition humaine. En somme, notre rapport à l’autre et à la nature doit être repensé à travers une lentille qui transcende ce que l’on considère comme des dualismes clichés, abordant plutôt une vision intégrative de l’existence.

Notre point de vue

En ces temps incertains, l’engagement vers une pensée existentialiste et écologique apparaît comme une nécessité plutôt qu’une option. L’idée que chaque individu joue un rôle dans la préservation de notre écosystème souligne l’importance de la responsabilité collective. Ce mariage entre existentialisme et écologie ouvre de nouveaux horizons pour penser notre existence, incitant chacun à explorer de nouveaux modes de vivre ensemble, tout en tenant compte de notre impact sur le monde qui nous entoure. C’est à travers cette exploration que se dessine un futur où liberté et solidarité peuvent coexister, nous guidant vers un paradigme qui valorise non seulement l’individu, mais aussi toutes les formes de vie qui partagent notre planète.



Votez pour cet post

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *