La Cour des comptes a délivré, le 17 décembre, un rapport énonçant des critiques sur le Pass Culture. Ce dispositif de 300 euros destiné aux jeunes pour favoriser leurs activités culturelles est jugé jugé trop onéreux et insuffisant en matière de démocratisation des pratiques culturelles. Pourtant, peut-on vraiment conclure que le Pass Culture est un échec total ?
Les données révèlent une disparité d’utilisation du Pass Culture entre les jeunes selon le niveau d’éducation de leurs parents. Ainsi, 87 % des jeunes ayant des parents diplômés du supérieur ont téléchargé l’application, contre 67 % pour ceux dont les parents n’ont qu’un certificat d’études primaires. Cela suggère que les disparités de classe sociale persistent dans l’accès à la culture, malgré les efforts entrepris. Par ailleurs, les observations de l’Inspection générale des affaires culturelles (IGAC) soulignent des “effets d’aubaine” à travers ce dispositif.
Cette notion d’effet d’aubaine ne devrait pas être exclusive au Pass Culture, puisque les dispositifs de ce type sont souvent critiqués. Les musées, par exemple, semblent également souffrir d’inégalités d’accès, comme en témoigne la représentativité des diplômés dans leurs publics : en 2018, les personnes diplômées étaient 3,8 fois plus nombreuses que les moins diplômées. Ce constat s’étend à tous les secteurs culturels, soulignant l’écart entre les représentations populaires de la culture et leurs réussites en matière d’accès.
Notons également que le livre semble être le principal objet d’achat pour les jeunes utilisant le Pass Culture. Les chiffres montrent que 71 % des choix réalisés par ces jeunes concernent des livres, ce qui témoigne d’une opportunité de réévaluation de la fréquentation des librairies. En effet, certaines études indiquent que le Pass Culture permet à un plus grand nombre de jeunes issus de milieux moins favorisés de découvrir ces espaces, dont ils étaient souvent absents auparavant.
Une question de coût
En dépit des réserves émises, le Pass Culture est largement apprécié par les jeunes. Une étude montre que 81 % d’entre eux s’en sont servis, déclinant en moyenne 285 euros sur les 300 alloués. Au total, ce succès représente un coût de 260 millions d’euros, soit environ 6 % du budget 2024 du ministère de la Culture. Ce chiffre est à mettre en regard avec le financement des institutions culturelles historiques, ce qui en fait un instrument largement adopté sur le territoire national.
Un potentiel de lecteurs accru
Les résultats montrent que, pour de nombreux jeunes, le Pass Culture est un levier significatif pour accéder à la lecture. Toutefois, des inquiétudes subsistent quant à la baisse de l’engagement des jeunes vis-à-vis du livre, comme l’indiquent les recherches récentes. Comment alors remettre en question un dispositif qui dote la littérature d’une nouvelle attractivité, tout en évoquant la concurrence des écrans ? Cette disparité souligne une problématique plus large liée aux nouvelles formes de consommation culturelle.
Une voix pour les jeunes
Le Pass Culture se positionne comme un outil révélateur de nouvelles aspirations culturelles. Finie l’époque où les institutions dictent l’offre culturelle ; aujourd’hui, chaque jeune prend des décisions sur un budget public, ce qui les éloigne, par la même occasion, des choix formatés par le système éducatif traditionnel. Cela suscite des réticences chez certains acteurs culturels, mais ce rapport est révélateur d’une culture en constante évolution.
Une dynamique collective et personnelle
Il serait trop simpliste de penser que les choix culturels des jeunes se limitent à des tendances de masse. Bien que certains best-sellers occupent une place prépondérante, plus de la moitié des ventes s’établissent sur un large éventail de titres, renforçant ainsi une exploration personnelle des goûts littéraires. Ce mouvement va au-delà de la lecture : il s’exprime également dans les arts, comme l’acquisition d’instruments de musique ou de matériel artistique.
Vers une réinvention des politiques culturelles ?
Le Pass Culture pourrait bien représenter un tournant nécessaire dans le champ des politiques culturelles. La tentation de le supprimer serait un retour en arrière. Ce dispositif ouvre un nouveau dialogue précieux entre les jeunes consommateurs de culture et les institutions qui cherchent encore leur public.
Notre point de vue
Le Pass Culture est révélateur des mutations contemporaines des politiques culturelles. En favorisant l’initiative individuelle au détriment d’une approche imposée, il donne accès à la culture à des jeunes qui en étaient souvent exclus. Néanmoins, la question des inégalités d’accès à la culture reste centrale. Ce dispositif doit s’accompagner d’une réflexion élargie sur la manière dont on structure et offre l’accès à la culture, afin de réellement toucher tous les publics et d’éviter que l’accès à la culture ne devienne un privilège, comme c’est souvent le cas aujourd’hui.
Article original rédigé par : Claude Poissenot.